Patrice Chéreau, une expression plus théâtrale que filmique
Publié au journal « HECTOR » atelier du Centre scolaire de la Maison d’arrêt de
Villeneuve-lès-Maguelone
L’homme de cinéma et de l’opéra « Electra », né à Lesignée dans le Maine-et-Loire en 1944 et décédé le 7 octobre dernier était fou de théâtre. Mais aussi un fin observateur de ses parents qui dessinaient des tissus pour des couturiers.
Au début des années cinquante, sa famille vit à l’angle de la rue de Seine et de la rue des Beaux-Arts. Il suffit de passe le pont comme chantait Georges Brassens pour se retrouver au Louvre dont son peintre de père fait son terrain d’enfance. A Paris, Patrice Chéreau a pour singularité d’être un homme qui va, comme celui de Giacometti (Jean Genet consacre d’ailleurs un livre au sculpteur). L’atmosphère d’atelier aux narines, il prend pur décor, celui de son peintre de père pour son film : « Ceux qui m’aiment prendront le train ».
Metteur en scène de théâtre, il a entre autres maîtres, Molière, Marivaux, Marlowe, Jean Vilars du T.N.P. et le Berliner ensemble de Brecht, et Jean Genet. Son art, plus théâtral que filmique, concentre une âpreté soulignée par son physique au regards passionné, qui n’hésite pas à mettre en scène.
Son aspect, passablement ténébreux, lui permet de jouer un Camille Desmoulins dans le Danton d’Andrzej Wajda (1983). La même année, à Cannes, « l’homme blessé est un film qui heurte et dérange, dégageant un début de fascination qui s’affirmera, plus tard, à Cannes par la consécration de son éblouissant film La Reine
Margot avec deux pris cannois et cinq César.
Au théâtre de la vie, à Nanterre-les-Amandiers, il monte Les Paravents de Jean Genet, venu le voir. Le théâtre l’aide à vivre. Et s’il est politiquement moins actif, en 1968, qu’un Jean-Louis Barrault dans son théatre de l’Odéon, il est le premier à monter « Splendeur et mort de J. Mureta » (1971) de Pablo Néruda. Puis, à Spolète,
en Italie, La fausse suivante, de Marivaux. Un marivaudage, brutal et désespéré, écrit dans « Le Monde » Colette Godard qui lui consacre, plus tard, en 2007, un livre sur son théâtre : « Le trajet ».
Personne ne sait comme lui mettre en scène la puissance d’expression des visages et des corps. Il a retenu la leçon de la tétralogie de Wagner de 1976, commencé sous les huées du public et s’achevant, en 1980, par des applaudissements de plus d’une heure. Ce Ring le fait entrer dans la légende. Il devient mondialement connu.
Après Ring en 1981, au faîte de sa gloire, Jack Lang lui propose de diriger un théâtre à Paris.
Pressent-il déjà qu’il ne va pas « faire de vieux os » avec son éclipse d’astre noir, à soixante-huit ans ? Arborant un sourire cinglant et un phrasé rapide, Patrice Chéreau semblait pressé de conclure une œuvre dûment archivée, il y a quelques années, à l’Institut mémoires de l’édition contemporaine de Caen (IMEC). Avec la passion du travail bien fait, s’il connaît enfin la consécration cinématographique avec son film La Reine Margot, il n’en demeure pas moins un exemple d’homme de théâtre au trajet à la Genet.
Claude Ozanne