La peinture de Sophie MOSIADZ-SAMMARRO

 LES  CI-DEVANTS  DE  L’AMOUR  COURTOIS  

Par le choix de son mode d’expression, Sophie Mosiadz est une artiste dont la personnalité n’est manifestement pas insensible à l’apport du maniérisme.

Son instinct, plus fort ici que l’intellect est, sans aucun doute, l’élément le plus important de sa création. Plus masculin que féminin, il est le moteur de sa stimulation. Il en constitue la quintessence.

Sa création plastique, largement empreinte de poésie, soutient volontiers
les mouvements plastiques les plus prestigieux. Parmi ces mouvements, s’impose d’emblée, celui de la Renaissance. A cet égard, une première décryptation peut être proposée, à travers ce prisme, pour une meilleure compréhension de son oeuvre qui ne saurait, cependant, se fondre exclusivement dans les schémas traditionnels du type Renaissance.

Pour répondre à un tel souhait, il faut, peut-être, de prime abord, évacuer l’aspect par trop architectural qui sous-tend la figuration picturale des thèmes de l’oeuvre proposée. Même si celle-ci, indifférenciée dans certaines toiles, est en fait quasiment inexistante.

L’oeuvre picturale ne se limite pas à des artifices de perspectives architecturées. Pas plus qu’elle n’obéit à une recherche effrénée de relief dans sa matière même. Sa technique essentielle appelle plutôt l’aplat. Non pliée à l’habilité du trompe l’oeil, elle adosse sa facture à des colonnes. De celles, dépourvues toutefois des bases chères aux Grecs ou à celles des Romains légèrement effilées vers le haut, avec leurs sempiternelles cannelures à l’exemple de la célèbre colonnade entourant la place Saint-Pierre de Rome due à ce grand architecte et sculpteur du Bernin qui exécuta, avec brio, dans cette même ville la Sainte-Thérèse et l’ange en 1646. Or cette Sainte est une évocation de Thérèse d’Avila, rappelant une oeuvre de Sophie Mosiadz par l’éloquence de ses lèvres, sensuelles et sombres comme des pétales de rose. Cette atmosphère de couvent espagnol, empreint d’un mysticisme baroque, a fait long feu. Elle semble faire une large part au sentiment et à l’intuition. La part, plus intuitive d’ailleurs que sentimentale, crève son extase par son excès même. Cette extase s’affiche sur le mode de l’amour et son rituel se décrit picturalement jusqu’à l’obsession. Ce rituel, non dépourvu de passion, a le mérite de ne pas décevoir la vie même qui n’est, le plus souvent, que trahison dans sa lutte quotidienne.

L’artiste sait que tout ce qui vit dans l’oeuvre picturale est soumis à la régénération., autant d’ailleurs que dans les écrits de Thérèse d’Avila, désignés ici à titre d’exemple. La peinture de Sophie Mosiadz, fruit de cette régénération soumise à la vie avec ses déboires que vient compenser la foi, obéit à cette renaissance. Elle en constitue l’ivresse même qui vaut mieux pour son âme que la sobriété. Une sorte d’ivresse qui emprunterait à Plotin, ce néo-platonicien qui essayait de joindre le panthéisme aux religions asiatiques ajoutées à l’idéalisme d’un Platon. Ivre de ce nectar de l’extase, la peinture de

Sophie Mosiadz est de l’ordre du monde sensible. Pour elle, le monde n’est pas l’oeuvre d’un méchant Démiurge comme le prétendent les gnostiques que plotin critique. Son monde est plutôt celui de la Providence, un monde bon malgré la goésie qui opére contre lui avec la conscience de l’homme : ce mal suprême !

Sa peinture s’exprime toutefois dans la morphologie du baroque. Elle obéit à ce fond générique vers lequel glisse l’esprit captivé par la foi. Elle abandonne toute discrimination entre l’orthodoxie et le panthéisme. Cette discrimination est réelle entre la pensée logique et la pensée sensible, entre l’intelligence et la vie. A peine l’intelligence rompt-elle ses lois que la vie recouvre les privilèges de la Carmélite dont le caractère spontané de ses écrits revêt une certaine divination d’essence vitaliste. Une essence où transpire une alternative entre l’orthodoxie et le panthéisme. Cette alternative n’a rien de la bourgeoisie juive à laquelle elle appartenait. D’ordre universelle, elle obéit au courant vitaliste, avec son côté libertin. Et la peinture de Sophie Mosiadz, traduit cet esprit, tant est patent son état d’abandon devant toute autorité religieuse.

Le baroque épouse ici l’oeuvre picturale, indépendamment de tout joug politique ou religieux. Il lui confère ainsi un sens cosmique, nettement révélé par son éternelle prédilection pour l’atmosphère picturale, à la fois rurale et paysanne. Le baroque agit dans l’oeuvre comme un idiome naturel. Il est à sa peinture ce que le dialecte est à la langue.

Le Bernin pour sa sculpture consacrée à Thérèse d’Avila pour l’Eglise Santa Maria della Victoria de Rome, avait-il lu également les écrits de Jean de la Croix, son compagnon du Carmel de l’incarnation où elle était prieure ?

Le Bernin est-il vraiment conscient des éléments d’un itinéraire de la sensualité rappelant, de manière audacieuse, les hautes émotions de l’amour ?

La réponse n’est-elle pas donnée par cet ange à gauche de la sculpture dominant Thérèse, une sorte d’Eros, au sourire séducteur, campé devant elle avec une tête de conquérant ?

De l’expression sculpturale de Thérèse, émerge un flot de voiles. Il recouvre son corps tremblant semblant faire des pieds et des mains pour l’obtention d’une ultime extase, peut-être exagérée par Le Bernin, avec une pointe misogyne d’ironie, comme pour en souligner le côté habile de la femme (fondatrice avec l’aide de Jean de la Croix d’une trentaine de couvents tant féminins que masculins). Outre, bien sûr, l’hommage qu’il adresse à l’immensité de son amour de la vie pour celle qui sauva son âme en déversant sur le papier ses angoisses de Carmélite.

Délaissant la spiritualité quant au registre purement architectural des tableaux de Sophie Mosiadz, pour ne pas dire maniériste, il convient de noter l’absence de tympans médiévaux désignant l’espace compris entre les linteaux et les archivoltes des portails sous lesquels, passent et repassent moult personnages de la chevalerie. Point d’architectures non plus de châteaux forts dans le fond de ses tableaux, seuls subsistent, dans quelques toiles, des éléments géométriques. Une géométrie, discrète dans le drapé des personnages du temps jadis, souligne la composition des tableaux. Elle se fond souvent dans un enroulement de spires ornant, de ci de là, un mythique sujet. Notamment par un drapé spiralé, presque sculptural, de personnages féminins qui sont plus nombreux, chez Sophie Mosiadz, que masculins. Ces sujets (aussi individualisés que chez Dominikos Theotokoulos dit le Gréco et formés, eux aussi, dans un couvent), retrouvent l’ambiance de l’amour courtois.

Le maniérisme a su, en son temps, s’attirer le soutien des artistes conscients de la crise des valeurs de la Renaissance. Et, sur ce point, Sophie Mosiadz, pour son plus grand profit, en cultive le goût. Elle le fait avec un instinct purement gestuel. Son écriture picturale se met à la disposition d’une classe sociale, sous forme de convenances souvent matérialisées par des commandes.

La création plastique de Sophie Mosiadz n’est point dépourvue de l’amour courtois. Et, dans ses compositions, à travers ses ci-devants en pavane, avec ou sans afféteries, il peut être réducteur de complaire toute explication dans la maniérisme. Et pour ne point l’être, il convient d’esquisser un peu plus le contour de leurs origines pour une bonne approche de l’oeuvre de Sophie Mosiadz.

Pour mieux appréhender la peinture de Sophie Mosiadz, il suffit de jeter un oeil à sa bibliothèque. Deux livres, parmi d’autres, s’en détachent. L’un sur Arcimboldo et l’autre sur Léonor Fini, résument tous deux succinctement une  meilleure compréhension de l’oeuvre du peintre.

Le premier : Arcimboldo, peintre italien, célèbre pour ses techniques élaborées du trompe-l’oeil et pour ses ghiribizzi aux effets habiles, séduisait déjà, à son époque, les princes de Hasbourg. Le caractère à la fois ludique et étrange de son art ne manque pas d’inquiéter l’imagination des surréalistes. Son aspect « art magique », plaisait à Novalis qui exprimait dans ses écrits la nostalgie de sa foi religieuse à travers un idéalisme influencé en partie par les théories de Saint-Martin, dont la vision du monde fit connaître, en France, le mysticisme et la métaphysique de Swedenborg. Cet idéalisme magique séduisait également un Odilon Redon, illustrateur des « fleurs du mal » de Charles Baudelaire auprès duquel une peinture de Sophie Mosiadz se réclame.

Pour cet excellent graveur aimé de l’auteur des « Paradis artificiels », tout ne se faisait-il pas par la soumission à la venue de l’inconscient? Le lithographe s’appliquait déjà, comme Sophie Mosiadz, à transcrire le caractère spirituel des tendances les plus symboliques, avec une précision de naturaliste.

Le deuxième Léonor Fini, autre peintre Italien, se disant autodidacte, (décédé en 1992) est la référence par excellence. Il convient de s’étendre d’avantage sur les richesses contenues dans son oeuvre pour mieux cerner la complexité de son style proche, à bien des égards, de celui de Sophie Mosiadz. L’univers de la femme aux chats caressants, est à la fois ambigu et sensuel. Il s’allie au dévoilement d’un monde intérieur orné, par instants, de recherches éclectiques. Ses débuts picturaux trouvent leurs fondements dans la facture de peintres connus comme Goya ou Klimt. Ce monde théâtral, s’il en est, plaisait à un des ses commanditaires comme Jean-Louis Barrault qui montait des pièces comme « Bérénice » ou « les bonnes » de Genêt dont elle tira le portrait. Et qui mieux que Michel Ciry, (surnommé par son ami romancier Roger  Bésus « Le nautonier de l’âme »)peut en cerner la complexité, lorsqu’il livre ses impressions sur un gros livre de Léonor Fini?

« Tout un attirail de théâtre accompagne le principal des sujets ».(Le buisson ardent Plon 197O)

Ce journal confirme des traits connus du polémiste qui vêt de mots sulfureux les questions essentielles.

« Renonçant à sa tricherie majeure, à ce savoir qui camouflait la modicité de la pensée, et, davantage encore, dissimulait la réalité d’une âme qui, bien que se voulant perverse, est finalement assez naïve, cette peinture devient l’aveu qu’il ne faut pas faire. Des mains de cette fausse magicienne, coule une eau rare, plus insipide qu’empoisonnée. »

Est-ce le côté aguicheur de cet art qui agaçait André Breton, au point de ne jamais nommer son nom dans ses ouvrages sur la question du surréalisme, force est de constater que l’oeuvre de Sophie Mosiadz gagnerait à se détacher de tout onirisme à la Léonor Fini. Au lieu de se poser devant un miroir, mieux vaut en poser l’esprit. Fut-il déguisé, quelque peu masqué, sur ce théâtre du monde cher à Shakespeare.

Les séductions, élevées au rang d’un art, inspirées par la bienveillance du charme de Sophie Mosiadz, n’ont pas pour but qu’une mise en oeuvre des moyens de fascination. Elles posent, comme postulat de départ; des sujets au caractère impérieux que soulignent, par instants, les mouvements médiévaux de l’amour courtois. Ses sujets, issus de la cuisse de plusieurs dieux, semblent obéir à une préoccupation plus païenne que déiste.

Tant il est vrai qu’il y a dans la peinture de Sophie Mosiadz un mystère païen

baignant tout ballet de danseurs contenu dans l’oeuvre. Ce corps de danse ou présumé tel, s’avance, à pas comptés sur le devant de la scène. Ce sont des ci-devants d’opéra toisant, en vis-à-vis, leur partenaire, le regard planté dans celui de l’autre.

Au delà de cette scène, quelque peu sublimée, ils sont ci-devants d’un amour converti par une grâce, la plus vivifiante dont on ne peut la détacher, la couper.

La peinture de Sophie Mosiadz fait feu de toute image et du moindre grain d’insolite. Elle est une suite plastique ininterrompue de salons de danse. faisant montre de ballerines. Elle n’en relève pas moins de la bienveillance, la plus dansante.

De cet art de la danse, le plus asexué, le plus exigeant qui soit, cette grâce est d’essence païenne. Typiquement courtois, cet art prend la geste de la grand-messe. Il sacralise l’épuration de son expression et procède au flamboiement le plus haut, en jetant tous ses feux sur la scène du ballet androgyne. Une scène de la vie gracile imprégnant tout ce qui laisse toucher le beau, le plus nu. La beauté déroulée d’un rideau d’opéra où, à chaque représentation de son talent, l’artiste tire le thème de son esprit toujours en mouvements. Un déplacement de fables cher à Sophie Mosiadz où scintillent les mille attraits d’une imagination dans le cadre des dorures patinées par les effervescences d’une nostalgie de l’amour courtois.

L’atmosphère picturale est ici des plus bouclée. Son harmonie régnante sur le choix des sujets n’en cède pas moins à la simplicité. Et de la bienveillance, la plus nonchalante, drapée dans sa plasticité même, découle le charme d’une facilité de déplacement des jeunes filles brocardées de fleurs moyenâgeuses.

La légèreté des robes et des rubans des danseuses badinent avec aisance. Les drapés se froissent et le charme féminin se meut dans l’azure. Un dédoublement des plus félins, devant le miroir, fend les airs délicatement parfumés d’une chambre. Est-ce une attitude d’auto-fascination passant inéluctablement par sa propre mouvance, un dédoublement engoncé dans des préjugés de classe ou de fortune?

Fleurdelisées jusqu’à la moelle, ces filles ouvrent leur coeur à l’innocence la plus soutenue, envahies, qu’elles sont, par les parfums de leur jeunesse éclose.

Claude Michel Ozanne